"L’agence de détectives tenue par trois ex-policiers dont un ex-commissaire avait rapidement fait parler d’elle, de bouche à oreille, de commerçant à bourgeois et de tapineuse à truand, créant un sentiment de sécurité chez les uns et de panique chez les autres. Le mot passa de rue en ruelle : en plus de la brigade criminelle, ils allaient devoir compter avec ces trois durs à cuire."

Poulet à la diable

Polar rétro : saga du commissaire Lorfeuvre tome 1

Poulet à la diable

Pour le commissaire Bénédict Lorfeuvre, la paperasse de l'administration policière des années soixante est un vrai calvaire. Pour coffrer un truand, il faut remplir quinze documents, et plus moyen de mener un interrogatoire musclé ! C'est décidé, il démissionne pour créer sa boîte de détectives privés et travaillera avec son ancienne PJ ! Et pour leur première collaboration, pas de jolies mousmés en perspective mais une bonne sœur, couteau planté dans le dos et le feuillet d'une mystérieuse organisation dans la poche. Flanqué de ses deux comparses de toujours, Racicot et Paillefer, Bénédict devra rapidement se triturer les méninges pour faire face à une liste de victimes qui augmente de jour en jour. Que veut dire ce symbole surmonté du sigle MÂNRA ? Le meurtre est-il le résultat de quelques fanatiques ou une organisation criminelle s'est-elle insérée dans la société ? Avec Poulet à la Diable, retrouvez un polar rétro à l'humour décapant, où le chaos n'épargne personne...

Broché Poulet à la diable, de Nicolas Pellolio.
Broché Poulet à la diable, de Nicolas Pellolio.
Ebook Poulet à la diable, de Nicolas Pellolio.
Ebook Poulet à la diable, de Nicolas Pellolio.

ISBN : 979-1040510895

Nombre de pages : 270 pages

Date de sortie : 19 novembre 2021

Disponible dans les abonnements Kindle et Kobo+

Lire un extrait - Chapitre 1 :
Le 36 perd un poulet

Paris, 8 avril 1960

Ce matin-là, le commissaire Bénédict Lorfeuvre ouvrit la porte de son bureau, un sourire mélancolique aux lèvres.

« Dans vingt minutes je ne serai plus commissaire. J’espère que je ne fais pas une connerie », pensa-t-il en regardant les bureaux déserts du 36.

Après quinze ans de service auprès de la brigade criminelle, il avait décidé de s’en aller. De faire autre chose. Pas loin ni dans un autre domaine, non, car il ne savait rien faire d’autre. Enquêter, résoudre, arrêter : c’étaient les maîtres-mots de sa vie. Mais l’organe de la police officielle ne lui disait plus rien. Les interminables rapports, les remontrances, la nouvelle génération qui remplaçait les vieux boucs lui donnaient mal au ventre et à la tête. Il avait besoin d’air, mais pas celui que l’on trouve à la campagne, celui-ci il se le gardait au chaud (et au frais) pour sa retraite. Il avait quarante ans et la mise au vert n’était pas pour tout de suite, mais ses cheveux déjà gris, qui se teintaient de blanc un peu plus tous les jours, le poussaient à aller voir ailleurs s’il n’y serait pas mieux.

Il s’assit derrière son bureau en merisier brun rougeâtre, ouvrit les tiroirs et entreprit de les vider sur son grand sous-main de cuir vert, usé, râpé et défraîchi par les frottements de ses poignets, de sa montre ou simplement par les centaines de dossiers qui y avaient transité. Le contenu des tiroirs était on ne peut plus variable : des documents tapés à la machine, des feuillets couverts de notes prises à la plume, des serviettes en tissu – pour s’essuyer la bouche quand il mangeait un sandwich en vitesse –, un chargeur vide pour son MAC 1950 de service, une bonne dizaine de photos de conquêtes d’un soir reconnaissantes et finalement son carnet d’adresses. Il le feuilleta rapidement, un sourire de satisfaction illuminant son visage. Ce précieux outil allait lui servir pour son prochain boulot, certainement. Le résultat de quinze années de travail de rue et de contacts était contenu dans le carnet de cuir noir usé. Des bistrots, des bonnes adresses pour becter, des femmes très disponibles séduites ou à séduire, des indics, des tapineuses, des macs, des poulets, des ronds-de-cuir et même quelques truands. Il y avait des noms, des adresses – mises à jour autant que possible – des numéros de téléphone, des descriptions physiques ou des particularités qui permettaient de reconnaître quelqu’un, des notes en bas de page, complétant ainsi ce recueil de la vie grouillante de Paris depuis la libération.

Il contempla en soupirant un très épais dossier en carton gris. Il l’ouvrit et secoua la tête. Ce dossier contenait ses échecs. Tous les cas ratés, qui lui avaient échappé, mais pas par manque de compétence. Ces cas étaient la raison pour laquelle il partait. La raison pour laquelle il ne voulait plus être flic. Tous ces cas étaient restés sans suite, laissant impunis les coupables. Des défauts de procédure, des preuves jugées bancales, des vices de forme…en bref, uniquement des problèmes administratifs qui avaient permis aux avocats peu scrupuleux de convaincre des juges de laisser en liberté leurs clients. Plus d’une fois, Lorfeuvre aurait voulu pouvoir se comporter comme dans les films américains et faire justice lui-même. Le problème était que c’était un flic honnête, droit et qui n’était pas devenu serviteur de l’ordre pour outrepasser les lois. On n’était pas dans un film et il n’était pas acteur. C’était sa vie et son éthique personnelle. Ces dossiers resteraient à jamais en suspens, sauf récidive des coupables. Il n’avait simplement plus envie d’alimenter davantage ce dossier gris.

La porte s’ouvrit sur le directeur de la PJ, Marcel Frionnet, suivi de l’inspecteur Toussaint.

— Alors, mon vieux, c’est le grand jour ? demanda Frionnet, un sourire crispé lui tordant la bouche.

Lorfeuvre referma d’un geste sec son dossier, se leva et lui tendit la main. Les deux hommes se serrèrent la pince avec franchise. Il se tourna ensuite vers son remplaçant, lui serra la main à son tour, puis revint à son directeur.

— Oui, Monsieur le Directeur, répondit le futur ex-flic en soupirant. Je vide mon bureau et je file.

Frionnet et Toussaint s’assirent sur les deux chaises recouvertes de cuir brun qui lui faisaient face.

— On te regrettera, Bénédict, dit Toussaint, mal à l’aise. Il se trémoussait sur sa chaise, comme s’il s’était assis sur une punaise.

Lorfeuvre le considéra avec affection. Toussaint était un bon inspecteur, consciencieux, appliqué, suffisamment lèche-cul et ambitieux pour monter en grade, mais c’était un bon flic. Il l’avait eu sous ses ordres pendant près de dix ans et jamais il n’avait eu à s’en plaindre. Le fait qu’il prenne sa place le rassurait. Les hommes de la brigade seraient entre de bonnes mains. Quand l’administration avait pris connaissance de sa démission et que les noms des remplaçants avaient commencé à circuler, Lorfeuvre avait eu peur que, pour des raisons politiques ou de piston, ils placent un pied-tendre sans expérience, fils ou neveu d’un grand Mogul de la police. Il avait été soulagé quand il avait constaté qu’il existait encore un bon sens administratif qui leur avait fait préférer un bon inspecteur à un jeune branque.

Lorfeuvre regarda son presque ex-directeur… du moins officiellement. Frionnet et lui, depuis des années, désespéraient de la lenteur administrative, de l’effort à fournir pour boucler un dossier, même simple. Il suffisait de peu de choses pour qu’un avocat ou un juge ne trouve un défaut de procédure pour annuler une arrestation, faire disparaître une preuve ou pour reporter un procès. La corruption n’expliquait pas tout. Les policiers de la brigade criminelle passaient plus de temps la tête dans leurs rapports qu’à fouler le trottoir. Plus la patience de Lorfeuvre diminuait et plus il échouait à boucler des dossiers. Frionnet devenait barjo à force de supplier les hauts représentants de l’Administration de bien vouloir passer outre certains manquements à la procédure et de leur permettre d’enfermer un coupable. Au bout de quelques années à ce régime, le commissaire divisionnaire Bénédict Lorfeuvre et le directeur Marcel Frionnet décidèrent que leur envie de justice allait devoir outrepasser leur travail officiel. Il avait été décidé que Lorfeuvre démissionnerait et créerait son agence de détectives. Une solide collaboration permettrait à l’un d’apporter à l’autre ce qui lui manquait, ce qu’il ne pouvait pas faire, et vice-versa. Un policier ne peut se comporter en dehors de la loi et un détective ne peut se passer d’un représentant de la loi pour une arrestation par exemple. Les deux organes se compléteraient à merveille. Quand l’inspecteur Toussaint, excellent flic et fiable à cent pour cent, avait été choisi officiellement par les autorités, Lorfeuvre et Frionnet l’avait mis au parfum. Tout d’abord surpris, il avait très vite applaudi l’idée. Il entrait parfaitement dans le moule. Dès lors, seuls ces trois hommes étaient au courant de la petite astuce. Quant à l’aspect financier, Frionnet ferait tout son possible pour sortir un budget régulièrement pour aider Lorfeuvre à payer son salaire. Sinon, il n’aurait qu’à réellement travailler comme une agence et faire ainsi rentrer de l’argent.

Les trois hommes discutèrent une trentaine de minutes des formalités de la succession, puis les divers derniers documents signés, l’ex-commissaire remit son badge et son arme de service. Ensuite, ils se levèrent. Lorfeuvre avait une boule de feu dans le ventre et qui semblait remonter jusque dans la gorge : désormais, il n’était plus policier.

— Toute la brigade nous attend de l’autre côté, dit en souriant le directeur. Allons-y !